Depuis les sommets atteints le 22 juillet, aucune classe d’actifs n’avait récupéré ses pertes au 8 août, à l’exception de l’or. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : s’agissait-il d’un orage d’été ou les marchés ont-ils changé de rythme face à une forte volatilité ? Comment faut-il s’attendre à ce que les mois à venir se déroulent ?
Tout d’abord, il faut tenir compte d’une manœuvre financière majeure qui a largement contribué au krach boursier, le yen carry trade, c’est-à-dire le fait d’emprunter dans la monnaie d’un pays où les taux d’intérêt sont bas pour financer des investissements dans des actifs ailleurs. Je m’endette donc en yens grâce aux taux ultra-bas du Japon pour investir dans le Nasdaq ou le bitcoin par exemple. Mais si, comme cela s’est produit, la banque centrale du Japon relève ses taux deux fois de suite, l’opération devient trop coûteuse et les gestionnaires sont contraints de la dénouer.
Pour ce faire, ils vendent les actifs sous-jacents et les marchés boursiers s’effondrent. L’histoire s’arrête là si tout le portage devient nul. Mais est-ce le cas ?
Un pari de 250 milliards de dollars
“On ne peut pas démanteler le plus gros carry trade que le monde ait connu sans casser quelques têtes“, commente Kit Juckes, expert en devises à la Société Générale. Lors d’une réunion avec des clients, James Malcolm, stratège mondial chez UBS, a estimé la taille globale du carry trade dollar-yen constitué depuis 2011 à environ 500 milliards, dont la moitié a été réalisée au cours des deux ou trois dernières années. L’analyste a expliqué que des positions d’une valeur de 200 milliards de dollars ont été liquidées au cours des dernières semaines. Il reste donc 50 milliards de contrats en yens.
Daniel Ivascyn, le plus grand gestionnaire actif de fonds obligataires au monde, se dit prêt à augmenter ses positions sur les bons du Trésor américain. M. Ivascyn, qui gère le Pimco Income Fund (158,3 milliards de dollars), a réduit certaines de ses positions après la forte hausse des obligations américaines au cours des dernières semaines, tout en conservant une position longue (positive) sur le marché, et il est désormais à l’affût d’opportunités de rachat après la hausse des rendements observée ces derniers jours.
Les turbulences renouvelées sur les marchés boursiers, associées à des données économiques plus faibles dans un contexte politique plus chaud à l’approche des élections américaines, font des obligations un bon choix défensif pour le reste de l’année, affirme M. Ivascyn.
Buffett détient plus d’obligations à long terme que la FED
Berkshire Hathaway détient désormais plus d’obligations du Trésor à court terme que la Réserve Fédérale. La société holding dirigée par le milliardaire Warren Buffett, âgé de 90 ans, a augmenté ses avoirs en dette américaine de 81 % entre le début de l’année et le mois de juin, pour détenir 234,6 milliards de dollars. Elle est désormais en passe de percevoir 12 milliards de dollars d’intérêts annuels sur les titres de dette qu’elle détient en portefeuille, grâce à des coupons dont le rendement se situe entre 4 et 5 %.
Le montant des T-bonds est même supérieur à celui des obligations du Trésor détenues par la Réserve fédérale, qui s’élevait à 195,3 milliards de dollars au début du mois d’août. Une belle opération défensive…
La stratégie de JPMorgan Chase
JPMorgan Chase estime désormais à 35 % la probabilité que l’économie américaine entre en récession cette année, contre 25 % au début du mois dernier. Les données macroéconomiques américaines “laissent entrevoir un affaiblissement plus marqué que prévu de la demande de main-d’œuvre et des signes précoces de licenciements“, ont écrit les économistes de JPMorgan.
Les analystes ont confirmé que 45 % d’entre eux s’attendaient à une possible récession d’ici le second semestre 2025. Par ailleurs, le PDG de la banque d’investissement, Jamie Dimon, reste sceptique quant au retour de l’inflation à l’objectif de 2 % de la Réserve fédérale, citant des risques tels que l’augmentation des dépenses publiques et la “remilitarisation du monde“.
Rester optimiste
Solita Marcelli d’UBS reste confiante dans la poursuite de la hausse des actions américaines au cours des prochains mois. La responsable des investissements de la division de gestion de fortune de la banque suisse estime que les chocs du marché n’ont pas affecté sa vision pour 2024, basée sur les fondamentaux des actions. La première baisse de taux de la Réserve `fédérale est imminente, rappelle Mme Marcelli, alors que l’indice S&P 500 a historiquement progressé en moyenne d’environ 17 % au cours des 12 mois qui ont suivi le début de la politique d’assouplissement monétaire de la FED.
David Pascucci, analyste de marché chez XTB, prévient que “les marchés d’actions ont changé par rapport à il y a quelques mois, en raison d’une forte augmentation de la volatilité suite à l’effondrement du Nikkei. Le fait que le Vix (aussi appelé indice de la peur, ndlr), ait atteint des sommets jamais vus depuis 53 mois, ouvre une période plus ou moins longue (des semaines, voire des mois) de forte volatilité où alternent des phases de hausse et de baisse très importantes, comme cela s’est produit en 2022, année baissière pour les marchés“.
Attention donc à la volatilité car elle est “une caractéristique particulière des marchés baissiers et de fait, comme en 2022, un retour de la volatilité à des niveaux inférieurs aux plus hauts actuels ne garantit pas la fin de la phase baissière qui a débuté avec l’effondrement du Nikkei“.
Le 14 août sera publiée l’inflation américaine, “un élément fondamental pour la baisse des taux, et le 6 septembre seront publiés le taux de chômage et les emplois non agricoles, autres données qui depuis 2023 montrent une détérioration du marché du travail“. Cela ouvre une phase de baisse des taux pour toutes les banques centrales et la FED, la banque centrale la plus attendue, “pourrait entamer une succession de baisses de la part de la BoE et de la BCE“.
Le marché obligataire pourrait bénéficier d’un éventuel mouvement de fuite vers la qualité en raison de la perspective même d’une baisse des taux, ce qui entraînerait une baisse des rendements et une hausse conséquente des prix des obligations. À l’heure actuelle, les obligations d’État britanniques et américaines affichent à nouveau des rendements à 10 ans inférieurs à 4 %. Ces mouvements expliquent “encore mieux l’hypothèse d’une fuite vers la qualité qui commence à se manifester sur les marchés en raison de l’augmentation de la volatilité“, conclut M. Pascucci.
L’or se porte bien, mais les actions ne sont pas mortes
Gabriel Debach, analyste de marché chez eToro, rappelle que cette tempête estivale a été déclenchée par un certain nombre de facteurs : “les résultats trimestriels décevants des géants de la technologie tels qu’Intel et Amazon, les tensions géopolitiques et les incertitudes liées à la prochaine élection présidentielle américaine“. Bien que les inquiétudes concernant une éventuelle récession aux États-Unis semblent quelque peu exagérées, les résultats trimestriels de McDonald’s, Starbucks et Diageo indiquent des signes de prudence dans la consommation, tandis que les incertitudes politiques et géopolitiques amplifient l’instabilité de la situation économique”.
Les incertitudes et les corrections font partie du cycle normal des marchés. Il ne serait pas surprenant que les marchés continuent à faire preuve d’instabilité pendant la période de faiblesse saisonnière d’août ou de septembre, ou jusqu’aux élections américaines, explique M. Debach. Toutefois, “il est important de souligner que les fondements du marché haussier restent solides, soutenus par une FED prête à réduire ses taux et par la hausse des bénéfices des entreprises (les bénéfices du S&P 500 sont en passe de croître de plus de 11 % au deuxième trimestre, ce qui dépasse les attentes initiales).
L’or et le franc suisse peuvent offrir une protection contre les fluctuations du marché, souligne l’analyste, tandis que “les obligations d’État offrent une sécurité supplémentaire en période d’incertitude, en particulier avec les craintes de récession et la nouvelle corrélation négative avec les marchés boursiers“. Toutefois, même si la volatilité devait dominer dans les mois à venir, “ce n’est pas le moment de faire une croix sur le marché boursier, précisément parce que les facteurs qui soutiennent un marché haussier restent en place“, conclut M. Debach.