Le marché rêve d’un nouveau Novo Nordisk, l’entreprise pharmaceutique danoise qui a grimpé dans les classements boursiers en Europe grâce au succès mondial de ses médicaments contre l’obésité Ozempic et Wegovy. Mais il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver le futur successeur : il n’est même pas nécessaire de quitter le Danemark. Comme Novo, le drapeau danois est porté par Bavarian Nordic, une société de biotechnologie spécialisée dans les vaccins qui a récemment fait la une des journaux et de la bourse grâce à son vaccin contre la variole du singe, dont elle est en fait le seul producteur au monde.

La propagation de la dangereuse variole du singe hors d’Afrique, avec l’apparition des premiers cas en Europe du Nord, en Espagne et aux Etats-Unis, a permis à l’entreprise de passer en quatrième vitesse, lui faisant gagner 43% en seulement trois séances – depuis le 13 août -, passant de 198 DKK à 283 DKK, pour se rétracter dans les jours suivants à 267 DKK. Puis, le jeudi 22 août, lors de la publication des comptes semestriels, l’action a fait un nouveau bond de 10 % pour atteindre 272 DKK.

Les raisons de ce bond boursier

Il s’agit d’un exploit que l’on n’avait pas vu depuis longtemps, le cours de l’action ayant oscillé autour de 180 DKK au cours des 12 derniers mois. Ce qui a déclenché les achats, c’est l’alerte lancée par l’OMS sur la propagation du virus dans les pays développés, y compris en Europe avec le premier cas enregistré en Suède puis en Espagne. C’est ainsi que le marché s’apprête à répéter le scénario beaucoup plus dramatique de Covid, les États se préparant à acheter des doses de vaccin vue d’une éventuelle campagne de prévention publique.

En outre, cette même société, dirigée par son PDG Paul Chaplin, a demandé ces derniers jours à l’Ema, l’autorité européenne des médicaments, l’autorisation d’utiliser son vaccin contre le virus Mpox chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans. Il s’agit d’une nouvelle étape après que le vaccin destiné aux adultes a déjà été entièrement acheté par différents États pour les campagnes de vaccination publique en 2023.

Commandes des États

L’année dernière, le gouvernement américain a passé des commandes pour 1,7 milliard de couronnes, le ministère canadien de la santé publique pour 730 millions, suivi par la France, dont l’agence de santé publique a acheté des doses pour 730 millions, et l’Allemagne pour 711 millions. Les engagements pris par les gouvernements des pays développés ont permis à la Bavière, qui jusqu’à l’explosion du cas de variole n’était connue que pour ses vaccins de voyage typiques contre le choléra, la typhoïde et la rage, de passer à l’action dès 2023.

Il suffit de regarder les bilans pour s’en rendre compte : le chiffre d’affaires de l’entreprise danoise a plus que doublé l’année dernière, passant d’un peu plus de 3 milliards de couronnes danoises (390 millions d’euros) à plus de 7 milliards de couronnes danoises (910 millions d’euros). L’essentiel de ce bond est imputable à l’explosion des ventes du vaccin antivariolique commercialisé sous les noms d’Imvanex/Imvamune et de Jynneos. Le vaccin Mpox (monkeypox) a vu ses ventes passer de 1,73 milliard de couronnes en 2022 à plus de 5 milliards à la fin de 2023, soit une augmentation de 190 %. En fait, sur les 7 milliards de recettes totales de l’entreprise, le vaccin Mpox a contribué à hauteur de 70 %.

Les coûts augmentent

Il est évident qu’avec l’augmentation des doses vendues aux gouvernements, les coûts ont également augmenté, mais certainement pas avec la même intensité. Les coûts n’ont augmenté que de 1,3 milliard de couronnes, portant le bénéfice d’exploitation à 1,5 milliard contre une perte de 70 millions en 2022. Et le bénéfice net a marqué l’année dernière 1,47 milliard contre une perte de 347 millions en 2022.Une année de rupture, donc, pour l’entreprise qui, ces dernières années, de 2021 à 2022, avait accumulé des pertes de bilan de plus de 700 millions de couronnes, grâce au vaccin contre le virus.

Le destin en bourse

Mais la bourse ne semble pas l’avoir remarqué et ce n’est qu’au cours des deux dernières semaines qu’elle a pris une charge en bourse. L’action a en effet continué à chuter tout au long de l’année 2023, l’année des comptes records, après avoir atteint son plus haut niveau de 400 couronnes à l’été 2022. Un réveil tardif sur la liste, donc. La question est maintenant de savoir si et quelle sera la force du nouveau cycle haussier. Les chiffres du premier semestre publiés jeudi dernier font état d’un ralentissement des revenus et des marges.

Les revenus pour les six premiers mois de 2024 sont tombés à 2,26 milliards de couronnes, contre 3,24 milliards en juin 2023, avec des marges industrielles bloquées à seulement 441 millions, contre plus de 1,1 milliard 12 mois plus tôt. Et les prévisions pour l’ensemble de l’année 2024, reconfirmées avec la publication des comptes, indiquent également des revenus de 5,3 milliards avec un ebitda de 1,3 milliard, également éloigné, en fait divisé par deux, par rapport aux 2,6 milliards avec lesquels l’année 2023 a été clôturée.

A moins qu’une surprise ne soit au coin de la rue : au printemps dernier, Bavarian a lancé son Jynneos sur le marché privé américain, dont il attend 1,7 milliard de revenus supplémentaires au cours des prochaines années, qui viendraient s’ajouter aux achats des gouvernements américain et canadien qui devraient se situer entre 1,5 et 2 milliards. Quoi qu’il en soit, la direction de l’entreprise a déjà annoncé qu’elle comptait produire 10 millions de doses d’ici 2025, en plus des 2 millions prévues cette année. Nous verrons bien. Pour l’instant, il faut compter avec une décélération de 2024 par rapport à 2023. Et certains doutes sur la reproduction du scénario Covid sont légitimes.

Les nouveaux concurrents

Même si le virus devait suivre son cours, les chiffres ne sont certainement pas ceux de la pandémie géante du virus respiratoire qui a fait des millions de morts. Bavarian elle-même parle de 2 millions d’adultes américains à risque. Des chiffres nettement inférieurs au risque de pandémie de Covid. Même en se préoccupant de Novo Nordisk, on risque d’exagérer. Le géant de Copenhague, dont le chiffre d’affaires est 30 fois supérieur à celui de Bavarian et qui vaut 534 milliards d’euros en bourse contre seulement 2,5 milliards d’euros pour Bavarian, doit sa fortune aux médicaments contre les maladies dites chroniques, typiques des pays avancés, comme l’obésité et le diabète.

S’il ne trouve pas trop de concurrents rapidement, comme l’américain Eli Lilly, qui réalise des bénéfices sur des médicaments similaires à ceux de Novo, il pourra compter sur des sources de revenus pendant longtemps. Le vaccin, en revanche, est éphémère : quelques années seulement et, une fois la virulence éradiquée, les ventes tombent à zéro. Après tout, c’est un film que nous avons déjà vu avec les différentes Moderna et Pfizer, qui ont décuplé leurs revenus et leurs cours boursiers dans les années sombres du Covid, pour ensuite sombrer et revenir sur terre dès que la grande pandémie a été vaincue.