Les grands noms du pétrole et du gaz, les gouvernements et même les banques se mobilisent. Tout porte à croire que le CCUS, acronyme de Carbon Capture, Utilisation and Storage (captage et stockage du CO2), deviendra une activité sur laquelle il faudra parier dans les dix prochaines années, alors que l’on estime que le secteur pourrait engager 196 milliards de dollars.

L’année 2025, selon les estimations du marché, pourrait être l’année de sa consécration, à la fois comme technologie de choix pour les industries difficiles à abattre, celles qui luttent le plus pour réduire leurs émissions polluantes, et comme choix d’investissement.

De nombreux projets en cours

La confirmation vient du grand nombre de projets en cours. En Europe, seuls deux étaient opérationnels à l’échelle industrielle : Sleipner et Snohvit, en Norvège, qui ont ouvert la voie et servi de modèles, mais qui ne capturent et ne stockent que leurs propres émissions. Le premier projet opérationnel présentant toutes les caractéristiques du Ccus 4.0, c’est-à-dire le captage et le stockage du CO2 provenant d’émetteurs tiers, est le CCS de Ravenne de Eni et de la Snam, qui vient d’être inauguré.

Il existe également 164 projets à différents stades de développement, 129 pour le captage, 35 pour le transport et le stockage. En Norvège, par exemple, le projet Longship (Northern Light), soutenu par le gouvernement, est mis en œuvre pour développer l’ensemble de la chaîne de captage, de transport et de stockage. L’énorme intérêt suscité par cette initiative a conduit à une prolifération de projets de captage de la Finlande à la Suède, de la Belgique à la France, avec une estimation de cinq millions de tonnes d’émissions par an à capter et à stocker d’ici à 2030.

Eni en pole position, une nouvelle entreprise également sur la bonne voie

Eni, parmi les grands acteurs, est le porte-drapeau du CCUS, au point de vouloir créer une newco dédiée qui sera cotée en bourse. Le lancement du nouveau satellite, à l’instar d’Enilive et de Plenitude, est prévu dans le plan stratégique 2024-27. En attendant, le nombre d’entreprises intéressées par le secteur ne cesse de croître. Aux côtés des poids lourds du pétrole et du gaz comme Eni, Equinor, Bp et Shell, des entreprises spécialisées comme Aker Carbon Capture, Carbfix et Climeworks font leur apparition.

Mais comment fonctionne le Ccus ? En quelques mots, le CO2 produit par les installations industrielles et les centrales électriques est capturé avant qu’il ne se répande dans l’atmosphère, pour être enfoui dans des réservoirs épuisés et inutilisés. Elle n’a certes pas la cote auprès des écologistes (Greenpeace s’en est souvent fait l’écho), mais cette technologie est désormais reconnue comme essentielle à la transition énergétique, à tel point que les interventions publiques se multiplient pour la soutenir à l’aide d’incitations et de financements subventionnés.

La Commission européenne est allée encore plus loin : à travers la stratégie de gestion du carbone industriel et le Net Zero Industry Act, elle a fixé l’objectif de capter et de stocker 50 millions de tonnes de CO2 par an en 2030 et 250 en 2050. Reconnaissant qu’ils sont stratégiques pour l’objectif de zéro émission, Bruxelles a indiqué que les projets de CCUS devraient bénéficier d’un statut d’intérêt public.

Le retour sur investissement : les modèles économiques

L’objectif est de le diffuser à grande échelle. Mais, du point de vue du marché, il s’agit aussi de le rendre finançable et, bien sûr, rentable. En Europe, il existe essentiellement deux modèles commerciaux qui, selon le marché, permettront d’obtenir des rendements intéressants: le modèle réglementé et le modèle négocié. Le premier sera adopté au Royaume-Uni pour les quatre projets prioritaires du pays, dont HyNet, le plus avancé, et Bacton Thames, tous deux confiés à Eni.

Dans le modèle réglementé, les conditions du service de transport et de stockage sont prédéterminées par un régulateur et l’opérateur reçoit un retour sur investissement garanti et un retour sur les dépenses d’exploitation. Dans ce cas, on estime qu’il est possible d’atteindre un taux de rendement encore plus élevé que dans d’autres secteurs, par exemple l’énergie éolienne. Le modèle négocié, ou marchand, permet quant à lui aux opérateurs de négocier des conditions de service sans tarifs prédéterminés. Avec cette formule, ils estiment, par exemple aux Pays-Bas où elle a été choisie, que la rentabilité peut atteindre un taux à deux chiffres. Les deux modèles offrent également aux émetteurs des outils de soutien tels que les contrats de différence. En Italie, une décision sur le modèle d’entreprise à adopter est attendue dans les prochains mois.

Aux États-Unis, le secteur est éligible aux incitations de l’Inflation Reduction Act (Ira), et c’est là qu’intervient Bank of America, qui vient de décider d’investir plus de 200 millions de dollars dans un opérateur de capture et de stockage du carbone. Il s’agit d’un financement par crédit d’impôt, peu risqué mais qui s’accompagne de la certitude, pour Bofa, que l’usine aura une durée de vie utile d’au moins 10 ans. D’autres pays, comme le Canada, ont déjà adopté des mécanismes d’allègement fiscal pour les opérateurs du secteur.