“Les machines vont nous voler nos emplois…” est un sentiment souvent exprimé en période d’évolution technologique rapide. L’anxiété est réapparue avec la création de grands modèles linguistiques (ChatGPT, Bard, GPT-4…) qui démontrent des compétences remarquables dans des tâches où, auparavant, seuls les humains étaient compétents.
Une étude récente (Eloundou et Alia, 2023) a montré qu’environ 50 % des tâches peuvent être au moins partiellement automatisées à l’aide de grands modèles de langage. Si l’automatisation de tâches de cette ampleur devait intervenir rapidement, elle représenterait une énorme perturbation pour la main-d’œuvre. À l’inverse, si elle devait se faire lentement, le monde du travail pourrait être en mesure de s’adapter, comme il l’a fait lors d’autres transformations économiques (par exemple, lors du passage de l’agriculture à l’industrie manufacturière).
Par conséquent, afin de prendre de bonnes décisions politiques et commerciales, il est nécessaire de comprendre à quelle vitesse l’automatisation des tâches liées à l’IA s’étendra. Cette question a notamment été posée par un groupe de chercheurs, coordonné par Maja S. Svanberg du MIT, qui a publié une étude intitulée “Beyond AI Exposure : Which Tasks are Cost-Effective to Automate with Computer Vision ?” qui introduit un nouveau modèle d’évaluation de l’automatisation des tâches d’IA, en se concentrant sur la faisabilité technique et l’attrait économique de ces systèmes.
Les prévisions
Selon l’étude, la plupart des inquiétudes liées à l’IA proviennent des prévisions concernant ce que l’on appelle “l’exposition à l’IA”, qui classe les activités ou les compétences en fonction de leur potentiel d’automatisation, mesuré par le nombre de personnes qui les exercent. L’étude souligne que la quasi-totalité de ces prévisions sont toutefois vagues en ce qui concerne le calendrier et l’ampleur de l’automatisation, car elles ne tiennent pas directement compte de la faisabilité technique ou de la viabilité économique des systèmes d’IA. La seule exception est un rapport de McKinsey qui estime que l’adoption de l’IA se situe entre 4 % et 55 %. Avec des prévisions aussi imprécises, les conclusions à tirer ne sont pas claires.
Les modèles d’exposition à l’IA confondent également les prévisions relatives à l’automatisation complète des tâches, qui est plus susceptible d’entraîner des suppressions d’emplois, et celles relatives à l’automatisation partielle, qui pourrait seulement accroître la productivité. Il est extrêmement important de séparer ces effets pour comprendre les implications économiques et politiques de l’automatisation.
L’étude publiée par le MIT mène une enquête auprès de travailleurs familiarisés avec les tâches finales afin de comprendre quelles performances seraient exigées d’un système automatisé. Deuxièmement, elle a modélisé le coût des systèmes d’intelligence artificielle capables d’atteindre ce niveau de performance : les systèmes techniquement parfaits peuvent être extrêmement coûteux. Enfin, elle a calculé si et quand l’adoption de l’intelligence artificielle est économiquement intéressante.
L’exemple d’une petite boulangerie
L’étude s’appuie sur l’exemple d’une petite boulangerie qui envisage d’automatiser ses tâches à l’aide de la vision par ordinateur. L’une des tâches des boulangers consiste à vérifier visuellement les ingrédients pour s’assurer qu’ils sont de qualité suffisante. Cette tâche pourrait théoriquement être remplacée par un système de vision par ordinateur, en ajoutant une caméra et en entraînant le système à détecter les aliments avariés.
Même si cette tâche d’inspection visuelle pouvait être séparée des autres parties du processus de production, serait-il rentable de le faire ? Le contrôle de la qualité des aliments est une activité qui occupe environ 6 % du travail d’un boulanger. Une petite boulangerie comptant cinq boulangers qui gagnent un salaire brut de base pourrait donc économiser 14 000 dollars par an en automatisant cette activité. Ce montant est bien inférieur au coût du développement, de la mise en œuvre et de la maintenance d’un système de vision par ordinateur, ce qui permet de conclure qu’il n’est pas rentable de remplacer le travail humain par un système d’intelligence artificielle.
Quelles sont les conclusions de l’étude ? Il ne serait pas rentable d’automatiser que l’équivalent de 23 % des salaires des employés dont les fonctions peuvent être remplacées par un système de vision par ordinateur basé sur l’intelligence artificielle, en raison des coûts initiaux élevés des systèmes d’IA. Ce pourcentage peut-il augmenter ? L’étude admet que oui, mais à condition de diminuer les coûts de mise en œuvre ou d’augmenter le facteur d’échelle, par exemple en introduisant des plateformes d’IA en tant que service.
Dans l’ensemble, le modèle de l’équipe du MIT montre que la perte d’emplois liée à la vision artificielle, même au sein de l’ensemble des emplois directement liés aux tâches de vision, sera inférieure au taux de rotation naturel du marché, ce qui suggère que le remplacement des emplois sera plus progressif que soudain.