Du point de vue des entreprises, la stratégie numérique européenne semble être guidée par deux forces qui poussent dans des directions opposées. La première va dans le sens de l’ouverture, du partage et de la réutilisation des données, afin de favoriser les espaces européens et les marchés connexes, d’encourager les collaborations intra- et intersectorielles et de faciliter le rattrapage de l’écart de compétitivité avec les États-Unis et la Chine. La seconde vers des formes de protection efficaces, transparentes et équilibrées en faveur de ceux qui, en investissant dans l’innovation et la créativité, contribuent au progrès technologique et à la diffusion de la culture.

La première force est la stratégie des données, inaugurée par la communication de 2020 et enrichie par la loi sur la gouvernance des données, la loi sur les données et, à présent, la loi sur l’IA. La deuxième force est la stratégie en matière de propriété intellectuelle qui, avec les conclusions du Conseil de 2020, insiste sur la création de droits européens (comme le brevet européen), la modernisation des institutions existantes (comme celles sur les droits d’auteur) et la promotion d’une application capable de lutter contre le piratage et les abus (également par le biais de la loi sur le service numérique) au niveau de l’UE.

Sauvegarde des actifs incorporels

À y regarder de plus près, les deux forces convergent. En effet, chacune des actions qui déclinent la stratégie en matière de données et la stratégie en matière de propriété intellectuelle part d’un point fixe : que le propriétaire d’actifs incorporels (données ou contenus) en dispose de la meilleure façon possible, en décidant à quoi il les destine et avec quelle rémunération.

Se limitant aux données commerciales, la loi sur la gouvernance des données stipule que les entités publiques et privées peuvent donner accès à des données et contenus protégés par des droits de propriété intellectuelle, dont elles peuvent disposer.

Dans le même sens, la loi sur les données introduit au niveau européen un nouveau droit en faveur des utilisateurs de données générées par des produits ou dans le cadre de services intelligents. Il s’agit du droit de les obtenir gratuitement, puis de les exploiter directement ou par l’intermédiaire de tiers, pour des utilisations à accorder gratuitement ou aux conditions du marché.

Les règles de la loi sur l’IA

En vertu de la nouvelle réglementation, les propriétaires de données et de contenus doivent conserver le contrôle par le biais des droits de propriété intellectuelle – et en particulier du droit d’auteur – même sur les fournisseurs de systèmes et de modèles d’IA qui, comme on le sait, ne peuvent être conçus, mis en place et développés sans un entraînement constant avec des données de qualité (également des textes, des images, des sons). À cette fin, les fournisseurs de modèles généraux sont soumis à une double obligation, à savoir :

  1. de mettre en œuvre une politique visant à respecter le droit d’auteur de l’Union et, en particulier, d’identifier et de respecter, également par le biais de la technologie de pointe, la réserve de droits réglementée par la directive sur le droit d’auteur ;
  2. élaborer et mettre à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour la formation. Il s’agit d’obligations organisationnelles et de processus qui favorisent le respect des règles qui existent déjà en matière d’exploration de données, en exigeant qu’elles soient appliquées indépendamment de l’endroit où les modèles sont formés et de la juridiction, de la manière dont ils sont diffusés (licences ouvertes et fermées) et de la taille des fournisseurs.

Aucun fournisseur ne devrait pouvoir bénéficier d’un avantage concurrentiel sur le marché européen en appliquant des règles de droit d’auteur moins strictes que celles en vigueur dans l’UE. Dans cette perspective, l’AI Act confirme que le renforcement de la compétitivité de l’Europe dans le numérique n’est pas une question d’expropriation de données et de contenus, ni de libre formation de nouveaux modèles. Il s’agit plutôt de reconnaître d’abord et de maximiser ensuite la valeur des données, en les extrayant à chaque fois et pour chaque utilisation dans les meilleures conditions possibles.