Depuis que c’est la géopolitique et non l’efficacité qui dicte les priorités en matière de politique économique et commerciale, on assiste à des choix absurdes comme les droits de douane punitifs de l’UE sur les voitures électriques chinoises. Il suffit de parcourir la liste des entreprises concernées pour comprendre que quelque chose ne va pas : il y a Bmw Brilliance, la coentreprise entre le constructeur allemand et le groupe chinois ; il y a Tesla, mais aussi Leapmotors, qui a récemment fait parler d’elle pour le choix de Stellantis d’entrer dans le capital avec 1,5 milliard d’euros.

Les voitures électriques de ces marques arrivant de Chine devront payer un taxe punitive de 21 % en plus des tarifs existants de 10 %. Ainsi, l’UE oblige d’abord les grands groupes automobiles européens à se concentrer sur l’électrique, puis ils concluent des alliances avec leurs homologues chinois afin d’exploiter les compétences et l’échelle que la politique industrielle de Pékin a favorisées, au nom de la motorisation électrique de masse.

Pour la Commission, les aides chinoises faussent la donne

Lorsque tout cela commence à fonctionner, les droits de douane punitifs arrivent, car la Commission Européenne considère que les aides chinoises à l’industrie faussent la concurrence. Le résultat est non seulement mauvais pour tout le monde, mais aussi difficile à comprendre. Les États-Unis et Joe Biden ont décidé d’empêcher les voitures électriques chinoises d’entrer sur leur marché en appliquant des droits de douane de 100 %.

Cela signifie que les voitures chinoises électriques coûteraient au consommateur américain le double de leur prix de marché, une décision politique destinée à protéger la production nationale. En conséquence, les Chinois ne feront même pas l’effort d’essayer de les vendre aux États-Unis. Le marché européen, même après la décision de la Commission, aura toujours des barrières moins élevées, car les droits de douane maximaux ne dépasseront pas 48 %. Ainsi, devant choisir un débouché occidental pour leurs surcapacités, les Chinois continueront à se concentrer sur l’Europe.

La menace (non) chinoise pour les constructeurs européens

En fait, les constructeurs automobiles européens ne se sont pas plaints de la concurrence chinoise. Au contraire, les grands groupes allemands sont les premiers à produire des voitures électriques en Chine et à en exporter vers l’Europe à des prix plus élevés, comme chez Volkswagen. Le marché occidental, contrairement au marché asiatique, a développé des véhicules électriques coûteux pour les consommateurs ayant un revenu disponible élevé et sensibles à l’environnement, alors qu’en Chine, les voitures électriques sont bon marché et abordables, parce que les entreprises locales ont misé sur une technologie émergente plutôt que sur le moteur endothermique moribond.

Tarifs douaniers et incitations ne font pas bon ménage

Pour encourager le passage des véhicules à essence aux véhicules électriques, presque partout en Europe et beaucoup en Italie, les gouvernements offrent de généreuses incitations visant à réduire le prix d’achat et donc à rendre le choix de l’électrique relativement plus attractif. Mais alors, quel est l’intérêt d’adopter des tarifs douaniers qui rendront toute incitation inutile ? Parmi les entreprises chinoises sanctionnées figure Geely, qui possède une coentreprise avec Volvo : ensemble, elles représentent 10 % des voitures électriques vendues en avril en Europe.

Geely devra désormais payer un supplément de prix de 20 % pour les véhicules importés de Chine. La décision de la Commission de sanctionner les constructeurs chinois aura pour première conséquence de faire monter les prix des voitures électriques sur le marché européen, qu’elles soient importées ou produites en Europe, car il y aura moins de concurrence extérieure. Cela ne fera que ralentir l’adoption des voitures électriques et décourager les investissements dans la transition.

Ceux qui ont pris au sérieux les engagements européens sur l’adieu rapide au moteur endothermique risquent de voir leurs investissements dévalués : c’est même le cas d’Eni, qui mise sur les bornes de recharge dans sa filiale Eni Live, qu’elle voudrait aussi introduire en bourse. Mais si la Commission freine la diffusion des voitures électriques, les bornes de recharge seront également moins utiles.

Réindustrialisation forcée ?

L’espoir inavoué de la Commission européenne est peut-être que les Chinois, stimulés par les droits de douane, décident de produire directement en Europe, ce qu’ils commençaient déjà à faire dans des pays amis (voir la Hongrie).

Cette réindustrialisation, qui ramène en Europe une partie des emplois manufacturiers délocalisés au cours des trois dernières décennies, sera toutefois compliquée par les tensions que ces mesures protectionnistes déclenchent toujours. L’Union européenne suit les États-Unis dans leur choix de sacrifier les règles et l’économie au prétendu besoin de sécurité, pour ensuite déplorer le déclin de ce qui a été le meilleur instrument de défense des intérêts occidentaux dans la mondialisation, à savoir le système de relations internationales basé, entre autres, sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La décision de frapper les voitures électriques chinoises est dénuée de toute rationalité, elle n’a pas été demandée par les principaux constructeurs européens et on ne sait pas pour quelles raisons la Commission d’Ursula von der Leyen a procédé à l’enquête puis à la sanction. Espérons seulement que quelqu’un leur demandera des comptes dans le cadre du processus parlementaire en vue de leur éventuelle reconduction.