Comme toute fonction parabolique, la dynamique politique imaginée par Emmanuel Macron pour prendre le pouvoir, après une ascension fulgurante, est en train de perdre de l’altitude de manière tout aussi impressionnante. L’ensemble du système partisan est en plein bouleversement, avec une recomposition frénétique des alignements qui conduit à son tour à des fractures profondes.

Il y a une crise du schéma de compétition politique qui a fait la fortune de Macron depuis sept ans, basé sur l’occupation et surtout sur le monopole du centre, se définissant comme “ni de droite ni de gauche” : une nouveauté totale pour la Vème République, qui avait vu jusqu’alors les socialistes et les gaullistes alterner au gouvernement et au sommet de l’Etat, marginalisant les forces extrêmes et les petits partis. Ce dernier résultat a été obtenu grâce à la loi électorale, un système majoritaire basé sur des circonscriptions uninominales et un scrutin à deux tours avec un second tour, qui agit comme un multiplicateur de force pour les grands partis.

De Hollande à l’Europe de 2024

En 2017, l’élection retentissante à la présidence de Macron, ancien ministre de l’économie du gouvernement dirigé par les socialistes sous la présidence molle de François Hollande, avait été facilitée par le vide politique créé par la décapitation judiciaire du candidat gaulliste François Fillon et le refus de Hollande de se représenter.

En quelques mois, en pêchant dans le réservoir politique et électoral des socialistes et des gaullistes, Macron avait réussi à mettre sur pied une toute nouvelle formation politique, En Marche, à la tête de laquelle il a remporté d’abord les élections présidentielles, puis les élections législatives : au second tour, il représentait la seule alternative viable face à Marine Le Pen et aux candidats du Rassemblement national (RN).

Les toutes récentes élections pour le renouvellement du Parlement européen ont marqué l’apogée de la parabole, avec la dissolution anticipée de l’Assemblée nationale annoncée par Macron le soir même de la fermeture des bureaux de vote, dans l’incrédulité générale. Le grand succès du RN aurait rendu intenable le maintien de la législature. Ne disposant plus de la majorité absolue à l’Assemblée, condition qui lui avait permis lors du précédent quinquennat de légiférer avec aisance, le gouvernement était déjà sur la défensive au quotidien depuis deux ans en raison du barrage de motions de censure présentées par les partis de gauche et le RN.

Macron sous le feu des critiques

Le paradigme politique fondateur et, à ce titre, inaliénable du “ni droite ni gauche” s’est avéré fatal : pour obtenir une majorité absolue et s’assurer ainsi le gouvernement et le pouvoir législatif, il aurait été possible de nouer des alliances à droite avec les Républicains ou à gauche avec d’autres formations que le Mouvement démocrate (MoDem), qui a entre-temps été substantiellement incorporé dans la formation présidentielle rebaptisée Renaissance.

La dissolution de l’Assemblée a entraîné une réaction en chaîne. A gauche, les partis s’accordent à nouveau pour présenter dans chaque circonscription un candidat unique sur lequel les voix convergeront, donnant naissance à une sorte de Nouveau Front Populaire. À droite, la course à la victoire a commencé : Le président des Républicains (LR), Eric Ciotti, a surpris tout le monde, y compris ses collègues de parti, en annonçant qu’il avait déjà conclu un accord électoral avec le RN pour ne présenter que le candidat des Républicains à double appartenance (LR-RN) dans certaines circonscriptions ; de son côté, Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen, s’est mise d’accord avec le RN pour présenter ses candidats dans certaines circonscriptions dans le cadre de la Coalition des droites émergente, faisant ainsi sécession de son propre parti, Reconquête !.

Ce compactage symétrique, rendu inévitable par le système de compétition électorale, a créé de très fortes tensions :

  • à gauche, contestant l’inclusion de La France Insoumise (LFI), dont les positions sont parfois diamétralement opposées à celles des autres partis, par exemple sur la question palestinienne et le rôle du Hamas ;
  • chez les républicains, qui ont convoqué d’urgence un bureau politique qui a décidé à l’unanimité d’exclure Ciotti du parti, l’accusant d’avoir conclu l’accord sans aucune consultation préalable, trahissant ainsi les valeurs fondamentales du parti ;
  • à l’intérieur de Reconquête ! , le président Éric Zemmour a déclaré que non seulement Maréchal avec son accord avec le RN s’est mise en dehors du parti, mais qu’elle doit aussi démissionner de son mandat de députée européenne pour avoir été élue sur la liste d’un parti auquel elle n’appartient plus.

Un pari très risqué

Dans ce processus de réunification agité et à certains égards dramatique, la composante politique présidentielle est restée immobile et isolée : ce faisant, la perspective de sortir vaincue des élections s’est éloignée. Macron fouette ses adversaires : si la possibilité de voir le communiste Jean Luc Mélenchon arriver à la tête du gouvernement représente un danger existentiel pour la France, dans le cas du RN, étant donné que son programme électoral promet d’augmenter les dépenses publiques de centaines de milliards, c’est la perspective d’un défaut de paiement de la dette qui s’ouvrirait.

Sa décision de dissoudre l’Assemblée est donc un pari à haut risque car, dans les deux cas, la cohabitation serait très difficile et l’absence de majorité absolue pour soutenir même le nouveau gouvernement conduirait rapidement à la paralysie. L’intention d’user lentement les opposants jusqu’aux nouvelles élections présidentielles de 2027 est donc une perspective très pernicieuse pour la France. Entre-temps, le président ne s’est pas retranché dans le secret habituel de l’Élysée, mais, dans une autre décision surprise, il a fait savoir qu’il mènerait personnellement la campagne électorale de son parti : Après moi, le déluge !