La progression des valeurs technologiques ne semble pas connaître de répit à Wall Street. L’une des entreprises emblématiques de ce moment est le fabricant américain de processeurs Nvidia, qui a réussi à franchir le seuil des 3 000 milliards de dollars de capitalisation d’une manière que seuls Apple et Microsoft, sans surprise deux autres valeurs technologiques, avaient réussi à faire avant lui. Cette tendance du marché a suscité un débat parmi les investisseurs et les analystes : sommes-nous en présence d’une nouvelle bulle technologique ?

La réponse est qu’il n’y a aucun signe d’une telle bulle pour le moment. Bien que les valorisations des actions soient élevées, elles ont en fait atteint des niveaux encore plus élevés par le passé. En outre, on peut observer aujourd’hui que la croissance des cours des valeurs technologiques s’accompagne généralement d’une augmentation correspondante, voire plus forte, des bénéfices.

En réalité, les valorisations ne sont pas excessives

Le premier indicateur à examiner pour comprendre si l’on se trouve en présence d’une bulle est en effet celui de la surévaluation, qui est toutefois une condition nécessaire mais non suffisante. En fait, nous devons également évaluer si les projections de bénéfices futurs sont réalistes et si les investisseurs deviennent irrationnels sur les marchés en s’endettant trop et en tolérant des niveaux de risque très élevés. Si l’on transpose ces hypothèses à l’environnement de marché actuel, on constate qu’aux États-Unis, le ratio cours-bénéfice est proche de 21 fois, ce qui est nettement supérieur à la moyenne des dix dernières années.

Le rendement supplémentaire (ERP) que l’on peut obtenir en investissant dans les actions par rapport aux obligations d’État à 10 ans est à son niveau le plus bas depuis deux décennies. Cela signifie que les valorisations des actions sont élevées, mais qu’elles restent inférieures à celles observées en 2000. D’autres éléments suggèrent, en outre, que les valorisations actuelles sont en fait soutenues – pour les actions technologiques du Nasdaq – par une croissance des bénéfices qui va de pair : toutes deux ont été multipliées par 11 au cours des 20 dernières années. Cela signifie que le ratio cours-bénéfice est en fait resté essentiellement stable au cours de la période analysée.

Le cas Nvidia et le cas Oracle

Le cas concret de Nvidia est également illustratif. Au cours de l’année écoulée, le cours de son action a été multiplié par trois, mais ses bénéfices ont été multipliés par cinq. Le ratio cours/bénéfice a donc chuté, ce qui correspond à une décote de 15 %. Les investisseurs achètent donc des actions Nvidia à un prix inférieur à celui qu’ils pouvaient obtenir il y a un an. Si l’on examine les valorisations d’Oracle, une entreprise encore en activité qui a su résister à la crise des “dot com”, au tournant de 1999-2000, a vu le prix de son action multiplié par cinq, alors que les bénéfices – bien qu’ayant augmenté de 60 % – n’ont pas progressé au même rythme, ce qui a fait tripler le ratio cours/bénéfice.

Ainsi, alors qu’en 2000 le marché pariait sur une croissance des profits qui ne se reflétait pas dans les faits, aujourd’hui la croissance des valeurs technologiques se fait à un rythme plus lent que la progression des profits et, paradoxalement, les profits sont devenus moins chers.

Flux entrants, fusions et acquisitions et endettement : des indicateurs stables

D’autres éléments ne correspondent pas à ce que l’on pourrait attendre d’une bulle spéculative. Par exemple, les entrées nettes sur le marché boursier devraient se situer à des niveaux élevés, mais restent au contraire proches de zéro. Les indicateurs traditionnels de la confiance des investisseurs ne suggèrent pas non plus un excès d’optimisme sur les marchés : à l’heure actuelle, il n’y a ni excès de confiance ni méfiance, de même que la répartition entre les actions et les obligations est largement équilibrée.

De même, parmi les entreprises, nous ne constatons pas d’augmentation de la propension à s’engager dans des fusions et acquisitions. Ce dernier facteur atteint historiquement des niveaux élevés pendant les périodes de bulle : à tel point qu’au moment de la crise de Lehman Brothers, le volume des fusions et acquisitions avait atteint presque le double du niveau moyen, alors qu’aujourd’hui les volumes se situent autour ou légèrement au-dessus de la moyenne. Enfin, le niveau d’endettement des ménages américains, qui reste très faible par rapport au PIB, n’est pas non plus une source d’inquiétude. De même, le niveau des crédits accordés est également inférieur aux niveaux historiques, ce qui suggère l’absence d’un effet de levier excessif au sein du système.

Ce que disent ces indicateurs

À titre d’indication opérationnelle, nous pouvons donc conclure qu’un examen global des marchés boursiers ne montre pas de signes manifestes d’une bulle spéculative, comme ce fut le cas en 2000, en 2007 et, dans une certaine mesure, en 2021. Il est donc correct d’investir sur les marchés boursiers à condition de disposer d’un horizon d’investissement adéquat, ce qui est nécessaire pour faire face à l’inévitable volatilité des marchés boursiers. Une alternative viable consiste à utiliser des stratégies d’investissement flexibles qui gèrent l’exposition aux différents marchés en lissant leur volatilité.